Publié le 23 juin 25
Voir l'enquête de la RTBF : https://www.rtbf.be/article/influence-chinoise-a-huy-plus-de-30-rencontres-avec-l-ambassade-de-chine-depuis-2012-l-opposition-s-alerte-11564575
Rappel des faits
Le 30 avril 2025, le Soir, la RTBF, Knack et De Tijd dévoilent qu’un ex-Bourgmestre de la Ville de Huy a été mis en garde par la Sûreté de l’Etat suite à l’interception d’une communication téléphonique entre lui et un agent chinois faisant état de la volonté commune aux deux parties de surveiller un autre élu du conseil communal, Samuel Cogolati. La Sûreté de l’Etat n’a pas démenti. Pas plus que Paul Magnette, directement informé lui aussi par la Sûreté.
Lors du Conseil communal du 26 mai 2025, le PS et le MR, partenaires de majorité, ont rejeté la demande commune de l’opposition Huy en Commun - Les Engagés de mettre en place une “Commission communale spéciale” dont le but était de faire toute la clarté sur les accusations d’espionnage, d’ingérences étrangères voire de collusion, mais aussi d’éviter que ce type de comportement ne se reproduise.
Le 27 mai 2025, le Ministre wallon des Pouvoirs locaux a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative afin de vérifier l’existence ou non de conflits d’intérêts dans le chef de l’élu hutois.
Actions menées à Huy
Face à cette tentative de protéger l’ancien Bourgmestre en empêchant la mise en place d’une commission spéciale, les Conseillers communaux de Huy en Commun ont refusé que cette affaire soit balayée sous le tapis de l’Hôtel de Ville. Ils ont donc décidé de mener l’enquête de leur côté, faisant usage d’une importante prérogative : leur droit de regard dans tous les actes et pièces relatifs à l’administration de la commune.
Dès le lendemain du Conseil communal, comme l’aurait fait une Commission d’enquête, ils ont sollicité du Directeur général les documents suivants depuis 2002, date de la conclusion du Pacte d’amitié avec la ville chinoise de Taizhou :
1. Toute délibération du Collège communal faisant mention :
- de relations avec l’Ambassade de Chine ou ses représentants ;
- de partenariats avec des villes ou institutions chinoises (ex. : Thaizou, Institut Confucius, Semaine culturelle, etc.) ;
- de projets, missions, invitations ou échanges impliquant la République populaire de Chine.
2. Tout courrier émis ou reçu par la Ville de Huy ou ses représentants en lien avec des autorités chinoises ou leur ambassade (y compris invitations, remerciements, etc.).
3. Tout justificatif ou rapport de mission relatif à d’éventuels voyages en Chine par un mandataire ou fonctionnaire de la Ville, comprenant :
- les dates et motifs du déplacement ;
- les frais pris en charge (billets, logement, repas, etc.) ;
- les cadeaux échangés ou offerts.
4. Toute pièce relative à l’accueil de délégations chinoises à Huy (courriels, invitations, notes internes, factures de repas ou cadeaux offerts).
5. Toute mention d’avantages offerts par des entités chinoises à des représentants de la Ville, qu’il s’agisse de repas, événements, cadeaux ou remboursements de frais.
A ce stade, et malgré leurs relances, ils ont uniquement obtenu les PV de Collèges communaux mentionnant la Chine pour la période 2012-2025.
Mais leur seule lecture est édifiante…
Les relations avec la Chine depuis 2012 : cadeaux, voyages, resto étoilé, concerts, réceptions, invitations sur le compte des Hutois…
L’analyse des 155 pages de procès-verbaux de ces dix dernières années révèle un faisceau de relations anormalement étroites entre l’ancien bourgmestre de Huy et les autorités chinoises. Invitations régulières à des événements prestigieux — restaurant étoilé, concerts, compétitions de pandas à Pairi Daiza — mais aussi voyages en Chine tous frais payés : ces occurrences ne relèvent pas d’un simple échange protocolaire. Elles dessinent les contours d’un système de séduction et d’influence systématique, sans équivalent dans les relations qu’entretient la Ville de Huy avec d’autres États étrangers. Une forme d’ingérence douce, patiemment construite.
Le Bourgmestre actuel a manifestement minimisé la réalité des liens avec la Chine. Lors du Conseil communal du 24 mars 2025, en réponse à la question de Samuel Cogolati sur la “fréquence” des rencontres entre l’Ambassadeur de Chine et des membres du Collège communal hutois “au cours des 20 dernières années” (soit depuis 2005), le Bourgmestre n’a évoqué que 5 occurrences : (1) des visites de l’ambassadeur lors du 10ème anniversaire du Pacte d’amitié en 2012, (2) encore une fois lors du 25 octobre 2012, (3) également le 8 avril 2017 lors de la semaine culturelle chinoise, (4) “une seule” invitation en 2021 à l’ambassade de Chine, et (5) enfin la visite du nouvel ambassadeur de Chine le 13 mars 2025 dernier. Or, les délibérations du Collège mentionnent en réalité 27 rencontres officielles entre les représentants de la Ville et de l’ambassade de Chine, et ce depuis 2012 uniquement ! Ces chiffres tirés des PV contredisent frontalement la version présentée par le Bourgmestre en séance publique. Cette version était à tout le moins incomplète, voire trompeuse.
De plus, chaque invitation d’origine chinoise — qu’il s’agisse d’un simple concert, d’une visite à Pairi Daiza ou d’un voyage officiel — s’accompagne systématiquement d’un remboursement des frais de déplacement et de cadeaux pour la Chine, le tout pris en charge par les finances communales. De même, l’accueil de délégations chinoises à Huy donne lieu à des déjeuners et présents offerts dans des établissements parfois facturés plus de 1.000 euros.
L’usage récurrent des deniers publics hutois pour financer ces dépenses de représentation soulève de graves questions. L’accumulation de ces gestes, dans un cadre répétitif et ciblé, constitue un mélange toxique entre hospitalité et compromission. Elle contrevient manifestement aux règles élémentaires de déontologie, comme l’interdiction de conflits d’intérêts, telles que fixées par le Code de la Démocratie locale et le règlement d’ordre intérieur du Conseil communal.
Surtout, cette stratégie de soft power chinois semble porter ses fruits. Les autorités communales ont relayé à plusieurs reprises des éléments de propagande émanant de Pékin — sur le Tibet, par le biais de l’Institut Confucius ou à travers des déclarations diplomatiques — allant jusqu’à dérouler le tapis rouge à des demandes explicitement politiques de la République populaire de Chine.
Un système “Pékin sur Meuse”… avec un élu au centre
Ce qui se dessine ici n’est pas une dérive isolée, mais un véritable système, connu et officiellement validé à plusieurs reprises par le Collège communal. Ces dépenses, invitations et cadeaux ne se sont pas déroulés en catimini : ils ont été assumés, parfois même défendus politiquement. Cela explique sans doute pourquoi, aujourd’hui, le PS cherche à minimiser la gravité de ces faits, allant jusqu’à couvrir un élu pourtant au cœur du dispositif.
Les faits parlent d’eux-mêmes. Depuis 2012, cet élu s’est rendu à 11 reprises à l’ambassade de Chine — chaque déplacement financé par les fonds publics hutois. Il a bénéficié d’invitations récurrentes à Pairi Daiza, à des concerts, à des repas dans des établissements prestigieux comme le restaurant étoilé “Arabelle”, et s’est vu offrir deux voyages en Chine.
Sa présence est quasi systématique lors des réceptions d’officiels chinois à Huy. À tel point que l’ambassade elle-même réclame sa participation, même lorsqu’il n’occupe plus aucune fonction officielle qui le justifierait. Ce lien de proximité, entretenu et renforcé sur plus d’une décennie, interroge profondément.
Plus troublant encore : en 2014, lors de la seule réunion du Collège communal (celle du 23 juin) où une position conforme au droit international est brièvement esquissée à propos du Tibet, cet élu quitte la séance. Comme s’il refusait de s’associer à la moindre prise de distance vis-à-vis de Pékin.
Conclusion :
L’article 75 du règlement d’ordre intérieur du Conseil communal prévoit des règles de déontologie et d’éthique que chaque mandataire doit respecter :
“Article 75 – conformément à l’article L1122-18 du code de la démocratie locale et de la décentralisation, les Conseillers communaux s’engagent à :
1. exercer leur mandat avec probité et loyauté
2. refuser tout cadeau, faveur, invitation ou avantage en tant que représentant de l’institution locale, qui pourrait influer sur l’impartialité avec laquelle ils exercent leurs fonctions
3. spécifier qu’ils agissent en leur nom personnel ou au nom de l’institution locale qu’ils représentent, notamment lors de l’envoi de courrier à la population locale
4. assumer pleinement (c’est à dire avec motivation, disponibilité et rigueur) leur mandat et leurs mandats dérivés
5. rendre compte régulièrement de la manière dont ils exercent leurs mandats dérivés
6. participer avec assiduité aux réunions des instances de l’institution locale, ainsi qu’aux réunions auxquelles ils sont tenus de participer en raison de leur mandat au sein de ladite institution locale
7. prévenir les conflits d’intérêts et exercer leur mandat et leurs mandats dérivés dans le but exclusif de servir l’intérêt général
8. déclarer tout intérêt personnel dans les dossiers faisant l’objet d’un examen par l’autorité locale et, le cas échéant, s’abstenir de participer aux débats
9. refuser tout favoritisme (en tant que tendance à accorder des faveurs injustes ou illégales) ou népotisme
10. adopter une démarche proactive, au niveau tant individuel que collectif, dans l’optique d’une bonne gouvernance
11. rechercher l’information nécessaire au bon exercice de leur mandat et participer activement aux échanges d’expérience et formations proposées aux mandataires des institutions locales et ce tout au long de leur mandat
12. encourager toute mesure qui favorise la performance de la gestion, la lisibilité des décisions prises et de l’action publique, la culture de l’évaluation permanente ainsi que la motivation du personnel de l’institution locale
13. encourager et développer toute mesure qui favorise la transparence de leurs fonction ainsi que de l’exercice et du fonctionnement des services de l’institution locale
14. veiller à ce que tout recrutement, nomination ou promotion s’effectue sur base des principes du mérite et de la reconnaissance des compétences professionnelles et sur base des besoins réels des services de l’institution locale
15. être à l’écoute des citoyens et respecter, dans leur relation avec ceux-ci, les rôles et missions de chacun ainsi que les procédures légales
16. s’abstenir de diffuser des informations de type propagande ou publicitaire qui nuisent à l’objectivité de l’information ainsi que des informations dont ils savent ou ont des raisons de croire qu’elles sont fausses ou trompeuses
17. s’abstenir de profiter de leur position afin d’obtenir des informations et décisions à des fins étrangères à leur fonction et ne pas divulguer toute information confidentielle concernant la vie privée d’autres personnes
18. respecter les principes fondamentaux tenant à la dignité humaine”
La multiplication des cadeaux et avantages, souvent onéreux (voyages, restaurant étoilé, repas gastronomiques, concerts, journée à Pairi Daiza…), offerts par un régime autoritaire étranger enfreint explicitement les dispositions de ce Code.
Entre 2012 et 2025, l’ambassade de Chine offre à la Ville de Huy :
- 11 visites du seul et même élu hutois à l’ambassade de Chine à Bruxelles
- 3 voyages en Chine
- 3 concerts à Bozar, The Charms of Shangai, aux Trésors de l’Opéra de Pékin
- 1 invitation à la compétition de pandas à Pairi Daiza
- 1 buffet dînatoire pour 150 invités à Huy en 2017
- 1 restaurant étoilé chez Arabelle
Le code impose en effet de refuser tout cadeau ou avantage qui pourrait influer sur l’impartialité du mandataire. Vu le nombre de cadeaux et d’avantages reçus, vu les demandes spécifiques de la Chine pour qu’un élu bien spécifique soit présent lors des rencontres, vu le retrait de ce dernier des délibérations du collège remettant en cause la propagande chinoise niant l’occupation illégale du Tibet, et vu les révélations récentes des journalistes d’investigation à propos des faits d’espionnage, il est manifeste qu’il est clairement sous influence chinoise.
La mobilisation de moyens publics pour faciliter l’obtention de ces cadeaux et avantages pose également de sérieuses questions, sur le plan pénal cette fois. Se servir de l’argent des Hutois pour bénéficier de cadeaux (en faisant systématiquement rembourser les frais de déplacement et les petits cadeaux offerts en échange) ne constitue-t-il pas un abus de biens publics à des fins personnelles ?
Le Collège communal hutois a participé à répercuter la propagande chinoise, notoirement fausse, entre autres sur l’occupation illégale du Tibet. En offrant à plusieurs reprises une véritable tribune à la Chine, ils ont à cet égard également clairement enfreint le code de déontologie des mandataires.
Mais plus fondamentalement, dans toute cette histoire, on cherche en vain la poursuite de l’intérêt général censée animer chaque mandataire communal dans les cadeaux offerts par la Ville de Huy à l’ambassade de Chine :
- 9 déjeuners dans des restaurants hutois à chaque fois entre 500-1000€ (Les Chats qui Rient, La Tour Colombe 4x, Takobo, La Tartine au Beurre, Chez Song, le 1660)
- des réceptions officielles de l’ambassadeur et de ses délégués à l’Hôtel de Ville
- des visites organisées autour de la Centrale nucléaire de Tihange ou dans d’autres sites sensibles (l’ambassade marque son intérêt pour l’Institut Tibétain)
- de nombreux petits cadeaux en tous genres offerts lors de chaque rencontre (bières, chocolats, thés, etc.)
Quel est l’intérêt pour la Ville et les Hutois d’organiser 27 rencontres officielles avec l’ambassade d’une dictature en quelques années à peine ? Quel est l’intérêt pour les Hutois de dépenser des dizaines de milliers d’euros pour offrir des restaurants et des cadeaux aux membres de l’ambassade de Chine ? Quel est l’intérêt pour les Hutois qu’un échevin se rende à 11 reprises à l’ambassade, en se faisant rembourser ses déplacements ? Quel est l’intérêt pour les Hutois qu’il accepte des cadeaux dans un restaurant étoilé ou un parc animalier ?
Très clairement, un élu en particulier a poursuivi son seul profit personnel au détriment de l’intérêt général, encouragé et soutenu par le Collège communal.
De manière plus générale, on peut légitimement s’interroger sur la véritable nature du jumelage entre la Ville de Huy et la ville chinoise de Taizhou. Contrairement à tous les autres partenariats internationaux noués par Huy – qu’ils soient en France, en Allemagne ou même au Bénin – ce jumelage est systématiquement représenté, non par des autorités locales de Taizhou, mais par des diplomates de l’ambassade de Chine à Bruxelles. Autrement dit, ce n’est pas la Ville de Taizhou qui pilote les échanges, mais bien les représentants du Parti Communiste Chinois. L’intérêt municipal semble clairement relégué au second plan, au profit d’un agenda diplomatique d’État.
Mais ce n’est pas tout. Avec les années, le partenariat originel avec Taizhou s’est dilué, voire dévoyé, dans une série de liens ambigus avec d’autres villes chinoises n’ayant aucun rapport direct : Danyang, Rizhao, ou encore des autorités provinciales du Shandong. Certaines de ces villes sont situées à plusieurs centaines de kilomètres de Taizhou, ce qui n’a rien d’anodin. On est donc loin du sens traditionnel d’un jumelage fondé sur des échanges culturels ou citoyens durables entre deux collectivités locales. À la place, la Ville de Huy s’est laissée entraîner dans une diplomatie parallèle, confuse, où les invitations, les cadeaux et les voyages se sont multipliés, sans transparence ni cadre clair.
Au-delà, une enquête approfondie sur les relations de la Ville de Huy avec la Chine est également indispensable pour faire toute la lumière. De trop nombreuses zones d’ombre persistent en effet :
- Combien de dizaines de milliers d’euros tous ces cadeaux aux Chinois (restos, cadeaux, frais de déplacement, etc.) ont-ils coûté aux Hutois sur ces 20 dernières années ?
- Pour quelles retombées exactes ? Avons-nous attiré le moindre investisseur économique chinois au cours des 20 dernières années à Huy ? Avons-nous à Huy le moindre lien avec les Pandas Géants ?
- Avons-nous attiré le moindre car de touristes chinois ? Selon les derniers chiffres officiels, entre 7 et 19 touristes chinois sont en effet venus à Huy ces dernières années en moyenne par an. C’est bien loin du top 5 des touristes étrangers qui se comptent par milliers. Et c’est même deux à quatre fois moins qu’un pays comme le Japon avec lequel nous n’avons pourtant aucune relation particulière. Cela ne justifie dès lors en aucun cas le traitement de faveur réservé à la Chine et les montants faramineux dépensés depuis toutes ces années, bien plus qu’avec toutes les autres villes jumelées.
- Pourquoi le collège communal a-t-il validé toutes ces dépenses, en particulier l’usage de moyens publics pour profiter de cadeaux privés profondément problématiques ?
- Pourquoi certains au sein de la majorité ont-il voulu protéger l’ancien Bourgmestre à ce point face aux premières révélations, alors qu’ils étaient manifestement au courant de ses liens rapprochés et problématiques avec la Chine ?
- Pourquoi le Bourgmestre a-t-il caché les nombreuses rencontres officielles avec l’ambassade depuis 2012 ? A-t-il sciemment menti au conseil communal ? Qu’a-t-il à cacher ?
Nous réclamons dès lors immédiatement la production de l’ensemble des autres documents demandés, et continuons de plaider pour la mise en place d’une Commission communale spéciale afin d‘obtenir toute la transparence nécessaire, de restaurer la confiance et de prendre des mesures urgentes pour l’avenir.
En toute hypothèse, nous attendons du Ministre des Pouvoirs locaux qu’il prenne les mesures nécessaires face à l’ampleur des faits. Nous lui transmettons en tout cas immédiatement l’ensemble du dossier.
Enfin, soucieux de faire toute la lumière sur cette affaire, nous transmettons au Procureur du Roi l’ensemble des pièces en notre possession susceptibles de révéler une infraction pénale. Il appartient désormais à la justice d’établir les responsabilités et, le cas échéant, de sanctionner les manquements constatés.